La Petite dernière, d'Hafsia Herzi
- Florent Boutet
- 10 juin
- 3 min de lecture

Présenté en compétition officielle lors du festival de Cannes en 2025, La petite dernière est la rencontre d'une première œuvre littéraire, celle de Fatima Daas, et de l'actrice et réalisatrice Hafsia Herzi. Découverte il y a presque 20 ans dans La graine et le mulet d'Abdellatif Kechiche (2007), la cinéaste impressionne par la maturité de son regard et du sujet qu'elle traite, seulement cinq ans après la publication d'un roman qui, s'il est imparfait, fait résonner la voix d'une jeune femme musulmane, pratiquante, qui découvre sa sexualité. Pour que cette rencontre entre la littérature et le cinéma puisse opérer avec justesse, il faut également une actrice pour incarner le personnage titre, et en cela le film d'Hafsia Herzi est un ravissement. Nadia Melliti donne vie aux mots de Fatima Daas, avec toute la sensibilité et le culot de celle qui n'a pas peur de regarder son sujet dans les yeux.
La famille décrite dans le film est un manifeste contre le racisme et la xénophobie qui gangrènent avec tant de force notre société contemporaine : un couple d'origine maghrébine a élevé ses trois filles à la fois dans leur culture et religion, mais aussi dans la réussite scolaire de la république française, toutes étant diplômées et parfaitement intégrées, avec un amour filial et sororal rayonnant. On ne peut s'empêcher de retrouver des bribes du cinéma de Kechiche dans celui d'Hafsia Herzi, tant on y trouve la même qualité à filmer les réunions de famille, laissant le plan s'étirer pour laisser jaillir une vérité rare et précieuse. Pourtant, si ces plans sont magnifiques et structurant pour comprendre le personnage de Fatima, c'est quand elle s'enfuie de ce cocon familial que la narration explose.
Le bouillonnement du questionnement intérieure de la jeune femme donne lieu à des pérégrinations et à une exploration qui repousse les limites de son univers. Si l'histoire commence par un traditionnel récit de lycéenne qui se cherche, très vite ces barrières sont élargies pour faire découvrir à Fatima l'ampleur du monde qui correspond plus à ses voix intérieures. Les scènes où elle retrouve son petit-ami caché, qu'elle se force à voir pour « rentrer dans le rang de l'hétérosexualité », voient de plus en plus émerger d'autres séquences où d'autres possibilités de vie se présentent. Si les codes sont simples, l'utilisation des applications numériques pour faire des rencontres, les soirées dans des bars bien précis, les regards qu'on échangent et les premières émotions, tout sonne juste dans la mise en place d'un nouveau paradigme de vie, qui va bientôt se heurter au dernier grand mur de la vie de Fatima, sa foi.

Si l'on ne se confronte pas encore au regard de la famille, l'amour qui y règne fait bien sentir que l'écueil, non sans mal, sera franchi. En revanche, la scène avec l'imam présente toute la complexité de l'architecture de vie de Fatima. Comment se construire en tant qu'adulte responsable et équilibré quand toute une partie de sa vie spirituelle vous repousse ? Le discours de cet homme de foi est en cela exceptionnel qu'il rappelle le sort dévolu aux femmes d'une manière générale. Ce que rappelle l'autrice dans ces plans très simples, c'est que l'homosexualité féminine n'existe pas pour ces hommes, c'est un impensé qui n'a même pas besoin d'être problématisé tant il est absurde de le formuler.
Nadia Melliti livre une prestation d'une grande sobriété et d'une force redoutable, surtout quand elle confronte son premier grand amour, joué par la très juste Jimin Park, et où les dialogues sont magistraux dans leur éloquence, dans une virtuosité qui, là encore, fait penser à La vie d'Adèle (2013), notamment. C'est un bonheur infini de voir Hafsia Herzi réussir, film après film, à exprimer une voix nouvelle au sein du cinéma français, qui de par les thématiques qu'elle traite, et la mise en scène qu'elle emploie, apporte un vent de fraîcheur qui se fraye un chemin jusque dans les plus grands festivals internationaux.