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Dossier 137, de Dominik Moll

  • Photo du rédacteur: Florent Boutet
    Florent Boutet
  • 16 mai
  • 3 min de lecture

Léa Drucker avec un brassard de police

2018, en France, à seulement sept années de distance du contemporain, c'est à dire à la fois peu et beaucoup. Cette ambition de consacrer un film sur des événements aussi récents de l'histoire française, d'une séquence aussi forte politiquement, est le premier élément qui interpelle dans le nouveau film de Dominik Moll. Après La nuit du 12 il y a tout juste trois ans, et après avoir regardé la police judiciaire à l'oeuvre, c'est du côté de ce que l'on a pour coutume d'appeler « la police des polices » que l'auteur franco-allemand jette son dévolu. Cette IGPN dont la charge est de débusquer les mauvais flics, d'instruire des enquêtes sur les potentielles bavures, a eu fort à faire au moment de la crise des gilets jaunes. La densité narrative et le défi à relever sont colossaux, il faut tout à la fois montrer la charge impossible de travail et la panique du sommet de l'Etat, mais aussi retranscrire ces mains des forces de l'ordre qui ont plus que tremblées face à une foule qu'ils tentent de décrire comme une meute d'agresseurs, voire même de casseurs et de voyous.


Dès les premières scènes pourtant ce que nous montre Dominik Moll c'est une famille française, dans ce qu'elle a de plus simple. Deux générations de travailleurs qui pour la première fois de leur vie se sont politisés au sens propre du terme : ils sont venus à Paris pour défendre leurs conditions de vie et leurs visions de la citoyenneté. Le personnage joué par Léa Drucker a comme charge d'établir la vérité sur les actes commis contre l'un des membres de cette famille, y-a-t-il eu bavure de la part des forces de l'ordre ou pas. Toute la première partie du film est brillante dans son enquête, c'est dans une grande lisibilité que la mise en scène dissèque les événements, et le processus qui amène cette brigade à trouver les coupables présumés, presque image par image, entre les mensonges et non-dits. La tâche est d'autant plus dure à cause du positionnement de l'IGPN : ils sont eux même policiers, mais honnis par leurs pairs, qui font bloc par corporatisme, et par le grand public qui ne fait aucun distingo entre les services.


une manifestation entre gilets jaunes et forces de l'ordre

Dominik Moll ne pose jamais un regard misérabiliste et réducteur sur ces faits, il expose, regarde, et laisse entendre tous les points de vue. Cependant, son point de vue devient véritablement intéressant quand intervient le personnage d'Alicia Mady, joué par une excellente Guslagie Malanda (Saint Omer) qui apporte une profondeur supplémentaire à l'analyse, un contre-point nécessaire. Témoin de la scène qui a vu le jeune homme blessé par les policiers, elle préfère tout d'abord se taire et ne pas diffuser la vidéo qu'elle a filmé de la scène. En effet, elle expose avec beaucoup de force un point de vue désarçonnant : en quoi son témoignage et cette vidéo vont elles changer quelque chose dans un pays où aucun policier, de l'aveu même du personnage de l'enquêtrice, n'a jamais été démis de ses fonctions pour violences sur un citoyen ? Ce type de fait, elle dit les ressentir chaque jour dans les recoins de la République qu'on refuse de regarder de peur d'y voir se reproduire ces méfaits sur lesquels on jette sciemment un voile pudique.


L'écriture des scènes mais aussi des dialogues est en cela très réussie, Moll retranscrit le climat de ce moment dans toutes ses contradictions. Le principal responsable, à la tête de l'Etat, n'est jamais cité mais fortement suggéré. Si les mains des brigades sillonnant Paris furent aussi libres et désinhibées, c'est bien à cause de la politique de terreur qui régnait dans les rues au moment de ces événements, l'atmosphère délétère ayant été favorisée par une absence totale de direction et de remise en question des pouvoirs publics. Ce que montre le film c'est cette multiplication de situations inextricables qui créent des ennemis en chacun, poussant les français les uns contre les autres, dans la discorde la plus sourde.

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