Sirât, d'Oliver Laxe
- Florent Boutet
- 9 juin
- 3 min de lecture

Le parcours de cinéaste et d'homme d'Oliver Laxe est éloquent à plus d'un titre. Né à Paris de parents galiciens, il a vécu dans plusieurs pays européens, avec toujours niché en lui un fort attachement à la Galice, à sa langue, et à une vision du monde très cosmopolite. Il est difficile de ne pas voir tout ceci dans ses trois premiers films, dont la palette de couleurs et de sonorités, au sens large du terme, offre des propositions de cinéma surprenantes et inattendues. Mimosas, en 2016, offrait déjà ce sentiment, qui avait conquis la Semaine de la critique à Cannes, remportant le grand prix de cette sélection mettant à l'honneur les premières œuvres de cinéastes. Viendra le feu, en 2019, avait eu les honneurs, déjà, de la Sélection officielle cannoise, gagnant le prix du jury Un certain regard, impressionnant par la force de son imagerie, et par la présence de la langue galicienne, comme un manifeste de Laxe à ses origines.
Six années ont passé avec la présentation de Sirât, titre énigmatique qui évoque une route, un chemin choisit par une personne pleine de détermination. Ce sentiment est personnifié par Sergi Lopez, père de deux enfants, dont l'aînée, Mar, a disparu depuis plus de six mois. Immergée dans l'univers de la musique électronique et des grands festivals alternatifs, elle n'a plus donné de nouvelles à sa famille, dont le père et le petit frère, sont la manifestation la plus évidente dans le film, bien décidés à la retrouver, cela même sans peu d'indices. La première demi-heure de Sirât est baignée par cette musique et ses nappes qui envahissent tout le paysage sonore, comme des pulsations ininterrompues au milieu du désert. Cette introduction est un apprentissage de cet environnement pour le spectateur, un visuel à couper le souffle, une population vivant pour ce type de manifestations musicales, à la marge de la société.

Le père et le fils dénote au milieu de tous ces codes visuels, aux frontières à la fois du monde occidental mais également de la légalité, la police étant redoutée en permanence comme un coup d'arrêt potentiel aux festivités. Le premier temps est celui de l'enquête, d'une joie décomplexée qui tranche avec la gravité d'une famille brisée et d'un drame tapi dans l'ombre. C'est tout le talent d'Oliver Laxe de réussir avec peu de choses à créer tout un univers, et à la fracasser dans sa deuxième partie, contre la réalité sauvage d'un environnement moins maîtrisable qu'on avait pu le croire. L'hostilité augmente à mesure qu'on s'éloigne du cadre planté au début du film, et la mort, qui n'était jusque là qu'une issue indicible, devient très concrète. Désormais la disparition des corps, des personnages qu'on avait appris à aimer, va devenir une ponctuation du récit, qui bascule complètement dans la tragédie.
Dans la surprise, l'auteur n'a aucune limite, personne n'est à l’abri, et les certitudes volent toutes en éclats à chaque pas opéré. Dès lors, l'objectif initial disparaît lui aussi, il n'est plus question de retrouver quelqu'un ou de gagner un nouveau lieu de fête, mais bien de survivre à une nature mortelle, considérablement transformée par l'action de l'homme, qui prend par exemple la forme d'un champ de mines qui anéanti le petit groupe et ses espoirs de s'en sortir vivant. Sirât est une expérience sensorielle magistrale, mais au delà de cette évidence, c'est une construction narrative brillante, qui manipule les émotions du spectateur avec un talent de premier ordre. Si les qualités de plasticien d'Oliver Laxe étaient déjà patentes dans Mimosas et Viendra le feu, on découvre un auteur complet et complexe, qui délivre un film d'une grande ambition à la fois formelle mais également dans son histoire et son travail sur les personnages. Il faut en ce sens saluer la qualité du casting, bien au delà du seul Sergi Lopez, avec des acteurs surprenants d'authenticité.