top of page

Entretien avec Nicolas Maury

  • Photo du rédacteur: Florent Boutet
    Florent Boutet
  • 2 avr.
  • 19 min de lecture

A l'occasion de la sortie de Garçon chiffon en octobre 2020, nous avons eu l'occasion de rencontrer Nicolas Maury, acteur accompli devenu cinéaste, pour ce très beau premier film.


Nicolas Maury les toits de Paris en fond

Guillaume Brac à la sortie de Tonnerre en 2014, livrait qu'une fois que son premier film avait été fini il était très différent de ce qu'il avait pu imaginer au début. Garçon chiffon est votre premier film, quand vous repensez à ce qu'il était au stade de l'écriture, au tournage et maintenant que vous le livrez au public, est-il devenu autre chose depuis ces premières étapes ?


C'est une question très intéressante, j'ai l'impression que mon film est devenu, pour de multiples raisons, abstraites, concrètes et empiriques, comme une véritable personne ce Garçon chiffon. J'avais eu ce pressentiment en lui donnant ce titre, comme quelqu'un qui était dans un stade de passage, Jérémie Meyer, et qui le chemin du film aidant allait se trouver, ça c'est l'histoire du film. Il se trouve que mon film a été chahuté, comme l'est Jérémie par un Paris qui est contre lui, anguleux, et il y a quelque chose dans le trajet du personnage et à la fois dans celui du film que j'ai posé dans cette société là, celle du 28 octobre dernier, avec ce chemin qui est passé par Cannes, est devenu comme une bannière pour d'autres que lui. J'ai l'impression personnelle qu'il m'enseigne des choses, comme s'il ne m'appartenait plus. De partir de nouveau en rencontres, comme avec vous, et d'en reparler, c'est comme un ami à soi qu'on doit re convoquer. Il me faut me reposer la question de qui est ce film vraiment, en tout cas ça me fait cet effet là.


Je suis assez coutumier de cet effet là, d'être en quelque sorte étranger à moi-même, parce qu'une fois que je suis dans un projet j'y suis vraiment entièrement. Après je revois très peu les films dans lesquels je joue, et la réalité devient un peu « liquide » pour moi. Et là il y a cette date du 19 mai pour le retour en salles, qui m'enchante, je n'ai pas revu le film depuis longtemps, et j'ai hâte qu'enfin le film ne m'appartienne plus. Qu'il appartienne à des gens et qu'ils y trouveront du sens, parce que moi, et je trouve que c'est quelque chose qu'on trouve dans la Nouvelle vague et qui n'est toujours pas évident, j'avais envie de poser un film dans la société. Ça peut être un film poétique, politique, mais avec en tête sa sortie, et là vu qu'il a été un peu retardé, même si ce n'est pas vraiment le terme. J'ai une approche assez « asiatique » et pour moi c'était son destin que les choses se déroulent comme ça. Ce qu'on m'en dit c'est qu'il a une petite aura de tendresse, par rapport à ce qu'il lui est arrivé à ce film là.


Je ne sais pas ce qu'en avait dit Guillaume Brac, mais en tout cas pour moi, entre le scénario et la concrétisation du film, il y a eu la rencontre merveilleuse d'être capitaine de navire, d'être metteur en scène. Pour moi ce n'était pas inné, et puis ça l'est devenu, cadrer le monde. Mais j'ai quand même appris une chose, merveilleuse, que j'avais sentie mais sans la vivre, c'est que chaque moment du cinéma doit être de l'écriture. Cela jusqu'au mixage ou l'étalonnage qui pour moi est un moment très important. Mon étalonneur me disait qu'en général c'est une étape où les metteurs en scène sont un peu en bout de course et ont une écouté un peu latente, alors que moi je suis hyper passionné par ça, la couleur d'une peau, et tout ça c'est vraiment de l'écriture. C'en est même hallucinant. Et tous ces rendez-vous ont abouti à l'écriture de mon deuxième film. Je me dis que maintenant je connais plus la matière, que ce soit du son ou de l'image. Ça, ça m'a beaucoup appris. Et ça va m'aider à être plus précis dans mes images affects, ou images-temps, que je vais faire pour mon deuxième long.


La situation est tellement historique, un film, un premier long, ce qui m'est arrivé, je parle de la trajectoire de ce film, c'est unique. Ma distributrice des films du Losange, Régine Vial, me disait tu verras c'est intéressant peut être un jour il y aura des gens qui étudieront ce truc là, parce que comment on garde un film qui sort, là aujourd'hui il faut de l'événement, de la nouveauté, et moi j'avais déjà fait une promo, et comment fait on pour que le film ne soit pas éventé quelque part ? Moi je ne crois pas, mais voilà c'est un chemin je vous avoue que vraiment je découvre. Si vous me posiez cette question au début de l'été là je l'aurais enfanté ce film, mais là je suis encore dans cette limbe, entre la vie et la mort.


Nicolas Maury et Nathalie Baye enlacés

Dans les premières projections en octobre dernier vous communiquiez beaucoup d'enthousiasme, avec une émotion particulièrement communicative. Comment garde-t-on intact tout ça après tant de mois où le cinéma a été empêché en salles, pour transmettre quelque chose à tout ceux qui n'ont pas pu découvrir le film ?


J'ai envie de vous dire non, je ne chercherai pas à reproduire ça, comme homme, j'adore cette phrase, « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». Si on revient au même endroit, le fleuve a changé, nous avons changé également. Je ne peux pas refaire une recette en parlant de ce film. C'est pour ça que moi je suis quelqu'un qui essaye de revisiter, revivifier les mots qu'il emploie. Et même mes idées, quitte à me contredire, donc là l'émotion n'est pas intacte parce qu'elle est différente. J'ai passé six mois sans tourner, j'ai des camarades acteurs qui n'ont pas arrêté de tourner, qui n'ont presque pas vécu cette poche de temps. Moi je l'ai vécu vraiment, je l'ai vécu souvent même de façon isolée. Mais c'était quelque part absolument passionnant aussi, parce que j'ai pu formuler ce que sera mon deuxième long, écrire un album de chansons, participer à un documentaire sur Hervé Guibert par David Teboul pour Arte. Se replonger dans Guibert, faire des choses, ça a été comme un ralentissement du temps, qui était hyper à la fois violent, avec Garçon chiffon resté dans les clous, mais aussi à la fois très intéressant dans ma vie. Là c'est un retour à la lumière, et il va falloir que ça reparte.


Vous parlez d'un album de chansons, et une des choses qui frappent dans le film c'est la musique et votre rapport à elle. Est-ce que vous pensez à la musique quand vous écrivez, pensez à la mise en scène, à votre découpage ? Elle sous-tend tellement la forme du film qu'on se pose la question de sa place pour vous.


Pour moi c'est vraiment indissociable, la musique de l'image, pour moi musique plus image égale cinéma. Une certaine musique en fait, j'étais très inspiré par les thèmes de Mancini, qu'on retrouve dans Breakfast at Tiffany's. Ces arrivées de cordes qui sont comme de l'indicible, mais mis en scène, soit ça prend le relais d'une émotion implicite, soit ça vient soutenir un visage, ou épouser les contours d'une personne comme Audrey Hepburn avec la musique de Mancini autant qu'avec le cinéaste Blake Edwards. De terminer le film en chanson c'est arrivé seulement dans les dernières versions du scénario. Et puis le nom d'Olivier Marguerit, car je voulais vraiment travailler avec quelqu'un en amont des images, car je savais qu'il faudrait créer des poches pour la musique au sein des images. Au moment par exemple du retour en train, je savais qu'il fallait que je laisse des poches pour Olivier, pour sa musique. Ce n'est pas boucher des images au montage avec la musique, pas du tout, je crois qu'on ne trouve pas ce genre d'utilisation de la musique dans Garçon chiffon. Ça serait faire de la musique une rustine, parce qu'on en aurait besoin pour faire un lien. La musique était presque convoquée sur le tournage.


Vanessa Paradis c'était intrinsèque à cette fameuse « chambre à soi », que contient Garçon chiffon, car elle était en vrai dans ma chambre. Ça racontait du personnage, comme ça, provincial, l'envie d'être une petite vedette, comme ça arrive quand on vient d'un milieu un peu populaire. Ça racontait les années 1980. Encore une fois tout ça c'est de l'écriture. Pour moi, c'est vraiment de l'écriture la musique. Là par exemple je vais encore plus loin, je suis dans l'écriture de mon nouveau film, et Olivier je lui ai demandé un thème alors que le film je vais peut être le tourner dans un an. Je lui ai raconté l'histoire, avec un thème que j'aimerais comme ci ou comme ça. Il me l'envoie et je sais que ce thème est exactement ce qui va soutenir les images.


Deux hommes en scooter

C'est donc vraiment très en amont dans la construction du film.


Oui très très en amont. Mon producteur m'a même dit, mais ça va être une comédie musicale ton film, car je pense que là encore une fois il y aura une chanson, mais non pour moi ça ne sera pas vraiment une comédite musicale. Ça sera mon cinéma.


C'est vrai que ça doit être compliqué tellement on aime aujourd'hui faire entrer les films dans des cases, alors qu'on ressent bien l'indécision dès la première scène du film, où le personnage hésite mais finit de toute façon à aller quelque part, ce qui est une image assez juste et difficile à faire accepter. Votre cinéma, comme votre jeu échappe à l'étiquetage des genres souvent exigés de la production à la distribution d'un film.


J'aime bien en tant que personne montrer que le chemin n'est pas encore tracé. En vieillissant je me rends compte, et cela on le ressent à rebours, qu'il faut accueillir le destin. Par exemple, Jérémie, si ça va si mal dans sa vie, il se torture et se juge beaucoup, il s'empêche de marcher et d'avancer. Et moi je sens, en prenant cette place de réalisateur, et non plus acteur pour les autres, même si je continuerai à l'être, je me donne la possibilité d'inscrire le fait que j'ai la possibilité d'être indécidable. D'être hors case, j'appelle ça l'hétérogénéité du monde, son bruit. J'aime pas quand on étalonne les choses à ma place, que ce soit dans la vie ou que ce soit dans mon travail de metteur en scène ou d'écriture. J'aime bien vraiment laisser arriver des choses qui même moi me provoquent.


En tant qu'acteur vous avez une couleur particulière, comment apporte-t-on ça quand on doit à son tour diriger les autres ?


C'est quelque chose que j'ai toujours fait, même avant d'être réalisateur, être très très sensible à mes partenaires. On me demandait souvent mon avis sur des rôles, des amis me faisaient lire des scénarios pour me dire, est ce que tu penses que c'est bien si je fais ce rôle. J'ai toujours eu ce truc qui dépassait le fait d'être un copain acteur. C'est souvent des actrices qui avant même que je le sache avait compris que je dirigerai. Amira Casar, Isabelle Huppert, elles savaient que j'avais un metteur en scène en moi bien avant que je m'en rende compte. Moi je l'ai toujours su mais secrètement, et ça serait intéressant de savoir ce qu'elles ont vu chez moi pour penser ça.


C'est encore une fois une question très belle, parce que j'adore poser « de petites bombes invisibles » pour quelque chose se passe, comme vous le disiez vous même. C'est pas tout à coup faire des prises d'otages, mais j'aime bien le fracas, et pour moi c'est ça le réel, à ne pas confondre avec le réalisme. C'est faire quelque chose qui n'est pas attendu, et c'est ça que j'attends de mes acteurs. J'attends d'eux un état d'une immense évidence, on se demanderait s'ils ont vraiment commencé à jouer. Et à la fois d'une immense impolitesse, dans le sens où il y aurait une chimie, quelque chose qui ne serait pas poli, qui n'est pas ergonomique, qui est de l'ordre de la vie. Mais c'est pas quelque chose de nécessairement extérieur, ça peut être un silence, ne pas répondre du tac au tac à une réplique. Je suis très sensible à ça, c'est de la musique aussi je pense. C'est quand même une comédie mon film, même si une comédie un peu chelou parce qu'il y a des choses très noires. Après je pense que j'ai un petit monstre comique en moi, ça me titille de faire rire, mais j'aime aussi bien m'absenter et décevoir un peu l'attente. Donc je suis peu spécial par rapport à ça.


Quand vous dites qu'avec moi, parfois, il se passe quelque chose, c'est peut être qu'à la fois c'est une production de ma part, une sur signature sur certains trucs, mais ça peut être aussi de ne pas donner ce que l'on attend. Ça c'est une chose avec laquelle j'aime bien jouer, comme pour beaucoup d'acteurs, mais ce sont le genre de choses qu'en tant qu'acteur on évoque pas. A partir de quel moment on apparaît dans un rôle, à partir de quand c'est bien d'être mat ou derrière, et tout à coup « hop » ! d'apparaître dans une réplique. Ça, pour moi, c'est à la fois et graphique, et musical. Là encore je dirige mes acteurs un peu comme ça. Et surtout, il n'y a pas de loi, je vais à la rencontre de chaque personne. On ne dirige pas du tout Nathalie Baye comme on dirige Théo Christine. Pas du tout, par contre je le regarde de la même façon. Mon regard est anormalement concentré, et même anormalement amoureux je dirais.


Théo Christine en gros plan

Pour encore tourner autour de la même idée, on trouve dans le film un dialogue, dans une scène d'audition, où le directeur de casting dit cette phrase « avec lui forcément ça nous emmène ailleurs, mais au moins il se passe quelque chose ». D'une certaine façon, est ce que cette phrase n'est pas la meilleure définition du film et même vous de ce que vous apportez dans tous vos rôles d'une manière générale ?


Oui, peut-être. Après ça serait prétentieux de ma part parce que je pense que qu'on pose un film ou une pièce de théâtre c'est difficile de dire « là il se passe quelque chose ». Alors effectivement ça serait mon souhait que les gens se disent ça, ça serait même mon rêve absolu. Dans cette phrase là il n'y a pas de superlatif, on est beaucoup trop dans ce truc là aujourd'hui. C'est assez pervers pour les artistes, parce que si on ne le dit plus après on finit par se demander si on a pas aimé le film. Les artistes ne le demande pas forcément mais finissent pas trop attendre ça. Et moi c'est vrai que j'essaye d'abolir ça. Il y a quelque chose d'un peu protestant de dire « oui ça nous emmène ailleurs ... », on est pas dans « j'adore » ou « je déteste » et ça me ressemble assez je crois, oui effectivement. Cet état un peu, comme je dis toujours, un peu « asiatique », ou cet état où on est pas obligé de dire « ce film va avoir un prix, c'est le meilleur ». Ce type de choses ça ne me parle pas du tout, je ne suis pas du tout carriériste. Je suis pas non plus un bisounours, mais j'essaye vraiment de me rapprocher encore une fois d'une vibration vraiment personnelle, audacieuse, inquiétée par le monde, car je ne suis pas seul. Déjà réussir à faire ça avec son métier c'est un sacré programme. Après qu'on le trouve comme ci ou comme ça, bien sûr ça peut me blesser, mais ça ne m'appartient plus.


Après vous allez peut être me trouver fou, mais mon film je le trouve extrêmement classique, et c'est très volontaire. Vous savez le cinéma c'est un art très jeune, vraiment comparé à la littérature. Déjà quand on lit Sade ça part très loin, c'est extraordinairement ouvragé, avec la langue, les péripéties et avec l'action. Face à ça je me rend compte à quel point mon film ne part pas du tout dans tous les sens comme on pourrait le penser. Si je dois être très honnête je le trouve même parfois un poil « conventionnel ». Et j'ai décidé en montage de renforcer ça avec du classicisme en disant que ça allait être un film d'apprentissage. Pour moi le film pourrait s'appeler « intérieur Jérémie », et ce n'est pas non plus un portrait à la Picasso, c'est un portrait d'un jeune homme d'aujourd'hui, qui avance comme ça, un soldat de la fragilité peut être. Mais c'est un film je trouve, très mesuré, même dans ce qu'on pourrait appeler ses « sorties de route ». Si on peut parler de ça c'est bien qu'il y a une voie principale d'engagée. Si un film ne faisait que des sorties de route, on pourrait pas en parler car ce ne serait que des épiphénomènes. Le phénomène principal c'est mon cinéma, ma musique et ma façon de me filmer et de filmer le monde. Et je crois que peut être qu'on s'imagine que ça part dans tous les sens parce que je l'ai ramené vraiment à ce qu'il y a de plus personnel ce film. Très franchement, si on le regarde très précisément il peut se recevoir de manière très linéaire. Il n'y a pas de sautes de temps, c'est pas un roman de Faulkner ! Il y a une grande continuité je trouve.


Vous avez tourné avec des monstres de la mise en scène, très jeune avec Chéreau, puis avec Assayas ou Philippe Garrel. Puis avec des gens plus de votre génération comme Yann Gonzalez ou Mikael Buch. Avez vous eu de véritables influences pour devenir le metteur en scène que vous êtes désormais ?


Je crois que j'ai beaucoup observé tous les tournages dans lesquels j'ai été. Mon premier avec Chéreau, je crois qu'il m'influence encore. Je ne dirais pas de Ceux qui m'aiment prendront le train que c'est un « beau » film, ça ne lui convient pas. Il y a une maladie dans le film, c'est un film malade mais au bon sens du terme, il est hémorragique. C'est pas un film de commission, ni un film à sujet, celui ci étant caché. C'est aussi un film sur ses acteurs, comm un documentaire sur tous ces gens que Patrice avait déjà formé, comme Vincent Pérez ou Bruno Todeschini qu'il avait formé à l'école du théâtre des Amandiers. Pour moi c''était absolument génial dans mon destin de rencontrer quelqu'un de si fantastique. J'apprenais le théâtre et je jouais dans la pièce Roberto Zucco, plus son lien avec Koltès, tout était vraiment très cohérent. Je ne sais pas si vous vous souvenez de ça mais Chéreau à ce moment là c'était le maître du cinéma événement, avec la Reine Margot par exemple. De passer de ce film là à Ceux qui m'aiment prendront le train c'était déjà très intéressant artistiquement. Il passait d'une reconstitution et une déclaration d'amour à Isabelle Adjani, qui est une femme extraordinaire et quelqu'un de très important dans ma vie, à un film qui en apparence fuit, et qui raconte Paris Province, mais dans l'autre sens, comme dans le mien. Ça, forcément, ça a été très influent sur moi, notamment comme il filmait très frontalement certaines choses, comme notamment sa façon de filmer l'homosexualité. Moi j'avais 15 ans, alors forcément c'était fou, j'avais à l'époque une passion pour Valeria Bruni-Tedeschi, parce que j'avais vu Les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel (1993). C'était des années cinéma qui m'ont bouleversé, sur la fragilité des personnages qu'on mettait au centre, sur leur maladie et leur incapacité à construire. Tout ça c'est dans Garçon chiffon, cette vibration là, cet appel du collectif et tout à coup de la solitude la plus tragique et la plus extrême. Ce sont des motifs et des couleurs qu'on retrouvait chez Patrice Chéreau.


Après, moi ça ne m'a pas influencé en tant qu'acteur de cinéma parce que j'étais trop « bébé » à ce moment là. Celui qui m'a beaucoup beaucoup envahi et révolutionné c'est Philippe Garrel, qui m'a appris que le cinéma ce n'était pas que dire, mais que c'était aussi penser. Et ça c'était comme une révolution, d'apprendre ça à 21 ans ça peut paraître comme une évidence mais en fait pas du tout. Parfois je regarde un acteur et je me dis qu'il ne se rend pas compte que la caméra filme aussi sa pensée. Elle filme notre enveloppe mais également notre pensée. C'est la meilleure des directions qu'on puisse avoir que de signaler cela à un acteur. On a ça dans le dernier plan sublime de Police de Pialat ou Depardieu se retourne, il ne sait plus si ça tourne encore, c'est le dernier plan du film, il demande à Pialat est ce qu'on arrête là cette prise, est-ce qu'on arrête là avec le personnage. A la fois c'est de la pensée, mais pas vraiment active, ce qui rend la chose difficile à faire passer à un acteur.

Il demandait aussi, comme disait Duras, de jouer « l'air de rien », parce qu'il ne fallait pas qu'on voit le travail non plus. Ça permet d'accéder à un jeu qui pour moi n'est absolument pas narcissique, c'est pour moi une entreprise de débarras de soi. Et Garçon chiffon m'a aidé à ça, j'ai fait ce film je ne le referai pas. J'avais besoin de faire ce film pour accéder à mon cinéma. Le deuxième film, j'ai l'impression qu'il va être très très différent, assez abstrait, très dialogué, dans un climat très différent.



Nicolas Maury dansant sur fond de papier peint kitsch

Jean-Louis Trintignant disait de façon un peu destabilisante que son véritable métier c'était acteur de théâtre, et que le cinéma en comparaison n'était que de la « conserve ». Vous êtes vous même un homme de théâtre, quel votre avis sur la confrontation de ces deux arts, de ces deux expériences d'acteur.


Je ne suis pas loin de penser comme lui, après j'ai eu la chance, même si moins que lui, de participer à des films dont on ressent qu'on fait quelque chose qui est de l'ordre de l'expérience. Quelque soit l'art, s'il n'y a pas d'expérience, je préférerais ouvrir une librairie. Faire de l'image uniquement pour communiquer des idées ou du scénario, ça ne m'intéresse pas du tout. Pour moi le cinéma est du cinéma, il y a une tautologie dans le fait de tourner. La même chose pour le théâtre. Ça serait comme de dire du lierre et du lierre. Mais par contre, tourner pour tourner en effet on peut en effet dire que c'est de la « conserve ». C'est déjà horriblement chiant, et le théâtre pour moi c'est ma maison. Cela pas dans le sens où j'y serais en pantoufles, mais c'est ma maison d'origine, mon temple et pourtant je ne suis pas croyant. C'est ma mosquée, mon temple, mon abbaye, un endroit où vraiment je fais un dépôt de moi-même avec une soumission absolue à deux écritures qui sont celles du texte qu'on dit, et puis du metteur en scène, et cela reste de l'écriture également.

Je n'ai fait que des spectacles je crois où la mise en scène était aussi majeure que l'écriture. Cotoyer ça, vivre ça, tout en déposant son écriture à soi, car c'est ce que ça nous demande à nous acteurs de théâtre. Nous n'y sommes pas que de simples exécutants. Dans tous les projets où je participe j'y dépose et accole mon projet d'acteur, car j'en ai toujours un quand je vais au théâtre, même si bousculé, modifié. Et chaque soir c'est une épreuve, et ce n'est pas de plus en facile, toute la journée, les répétitions sont tournées dans l'effort vers ça. Ça n'a pas à voir avec la virtuosité, ça à voir avec le feu, le froid, des choses très concrètes. Comment on refroidit ou réchauffe une salle tout à coup. C'est un peu la même chose que d'être chanteur de rock pour moi, c'est être capable soudainement d'enlever moins dix degrés à une salle, et de sentir qu'on en est capable, comme dans un manga.


Au cinéma, c'est plus compliqué, même si j'adore le rapport que je commence à vivre entre la caméra et moi. Entre l'objet très très matériel de se sentir sans corps, mou, pas musclé, de sentir que ses partenaires sont tellement meilleurs que moi, que des pensées annexes parasites, et que tout à coup la lumière arrive et on est sollicités par ça, le gros plan qui arrive, et d'accueillir la machine. Ces deux choses là me passionnent, même si là j'ai très envie de retourner au théâtre en ce moment.


Emmanuel Mouret nous avait avoué qu'il espérait ne plus jouer dans ses films, et trouver des acteurs qui pourraient remplir le rôle que lui remplissait jusque là. Est-ce que vous, cela est aussi une idée que vous auriez à l'esprit de disparaître derrière la caméra sans plus être devant ?


J'ai un rapport assez net avec ça, je suis très fasciné par Nanni Moretti et comment il se filme. On ne cite pas souvent ce qu'il fait en tant qu'acteur, son dépôt de lui-même, on parle plus souvent de gens comme Woody Allen par exemple. Je sais que je jouerai dans mon prochain film en tant que metteur en scène, ce sont des discussions avec mon producteur qui trouve aussi que ce serait beau que j'y sois. Mais j'ai déjà un autre scénario où il n'est pas du tout question de moi, et pourtant je me demande si je ne serai pas quand même là, en étant absent de ma caméra. Je vois que j'ai une musique, même quand je ne joue pas, quand je demande à mes acteurs de faire quelque chose.

Mouret c'est un peu différent, car il n'est pas acteur à la base, moi j'ai une formation très classique par exemple. Le débat est assez différent entre nous deux dans la mesure où je pense être dans un paysage des acteurs français. Je ne suis pas non un acteur à succès dans le sens où je me rends compte que si gens m'ont donné des rôles, je ressens une grande frilosité à mon endroit. Je vois bien que je ne croule pas sous les propositions. Je ne le déplore pas mais en tout cas je le remarque. Donc au bout d'un moment je ne vais pas non plus redistribuer tout le temps les cartes.


Je connais des acteurs de ma génération qui à talent égal n'arrête pas de tourner, là ou moi non et c'est comme ça. Mais je pense que je suis assez net avec ça, et je ne me mens pas trop. Après il faut que j'ai envie d'être la toile de ce que je vais raconter, et d'être la toile la plus véritable surtout. Par contre c'est sûr que j'adore filmer les autres. Je n'éprouve pas un plaisir sur dimensionné à me filmer, par contre filmer, cadrer et regarder l'autre c'est ma passion. Donc oui, si un jour je fais un troisième film je pense que je n'y serai plus du tout. Ce n'est quand même pas rien de se filmer, j'avais des exigences envers moi-même très fortes. De connaître cette aventure, de ne pas avoir à passer par le maquillage dès le matin, d'être vraiment derrière tout le temps. J'ai envie de me donner cette chance là aussi. Et je suis sûr que si je fais ça les journalistes me diront soi que je leur ai manqué, ou l'inverse car on veut souvent la chose qu'on ne nous donne pas.


Maury avec un chien dans ses bras et un poster d'Hong Sangsoo en fond

Pour être honnête je pense que vous nous manqueriez beaucoup en étant plus devant la caméra, car déjà en tant qu'acteur on vous sentait dans la mise en scène de vos rôles, même sous un autre regard que le votre.


Oui en effet et c'est parce que j'ai eu la chance, en effet notamment chez Rebecca Zlotowski que je n'ai pas pu remercier pour ça, ainsi que chez Mikael Buch, de m'avoir vraiment accueilli dans leur film. Dans le sens de bâtir un socle pour accueillir ma présence plus exactement. Et je suis bouleversé par ça, ils allaient vraiment à ma rencontre en tant qu'interprète. Il n'y a rien de plus beau que de sentir ça. Une actrice comme Isabelle Huppert a eu ce destin particulièrement chanceux, avec son sublime talent, que des cinéastes accueillent son silence, sa façon à elle quelque soit le rôle. Ce n'est pas donné à tous les acteurs. Pour moi, par exemple, il a fallut que je performe énormément mes rôles. Je ne suis pas parisien, je ne viens pas de tel ou tel milieu, et donc il a fallut que ce soit ma façon de jouer, le cœur que j'ai mettais, pour que les places grandissent. Je suis passé de cinq minutes dans un film à dix, à quinze etc.

Ca a été ça mon parcours, pas tout de suite premier rôle. Ce serait vraiment malhonnête de ma part de ne pas remercier les auteurs de m'avoir invité dans leurs films.


Comment envisagez vous l'avenir en tant que metteur en scène, quelles sont vos ambitions vous qui parlez déjà d'un deuxième long-métrage.


Je pense que oui c'est dans mon chemin maintenant, mais ce n'est pas événement, même si ça peut paraître bizarre de dire ça. Ce n'est pas comme de se dire ma vie était comme ceci avant, et maintenant elle est comme ça. J'ai vraiment l'impression que c'est très naturel. Vous le disiez vous même, que je mettais en scène mes rôles, un acteur metteur en scène, et c'est exactement comme ça que je vis mon métier. Et cette chose là, ben l'avenir de ça est assez concret, j'ai posé les bases de ce que sera mon prochain film, j'ai hâte de le tourner. Je ne veux sauter aucune étape, je l'écris, puis il y a le financement et c'est vrai que ça j'ai envie de beaucoup le faire. Après en tant qu'acteur j'ai d'autres projets aussi, je vais faire une nouvelle série, mais il y a ça en plus dans ma vie désormais c'est vrai.

bottom of page