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Trois Amies, d'Emmanuel Mouret

  • Photo du rédacteur: Florent Boutet
    Florent Boutet
  • 13 mars
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 23 mars


un homme et une femme dans un pré

Entre Changement d'adresse en 2004 et Caprice en 2014, Emmanuel Mouret a défini un style et un verbe unique au sein du cinéma français. Avec ces six films il crée un univers où les relations amoureuses sont nombreuses, on se rencontre et on se sépare beaucoup, mais toujours dans un calme et une bienveillance qui ne ressemble ni au monde réel ni à aucune autre comédie. Chez Mouret on élève jamais la voix, on parle un français presque désuet, et le seul objet est l'accomplissement amoureux, dans une vision du couple où règne la crise et la recherche de concorde comme un motif presque inatteignable. Caprice marque donc la fin d'une certaine recette pour le réalisateur, qui cesse dès lors d'apparaître dans ses films, poste qu'il n'avait jamais vraiment affectionné, préférant désormais engager des acteurs qui correspondent à ce rôle de grand sensible amoureux.


Si l'on peut regretter cette absence de l'acteur Mouret, si parfait au centre de la caméra et du système qu'il a mis en place, c'est pour mieux se concentrer sur l'écriture et une mise en scène qui n'a de cesse que de s'affirmer. Dans les trois films suivant, on n'assiste pas à un virage à 180 degrès et et une redéfinition de son cinéma, mais on ressent en revanche l'affirmation de la structure de l'écriture. En cela, Trois amies est le parfait aboutissement de ce que l'on retrouvait déjà dans Chroniques d'une liaison passagère (2022). Planté dans le milieu enseignant à Lyon, l'intrigue présente des personnages, leurs histoires amoureuses, et la superposition de leurs discours et aventures. Les situations initiales sont très banales, amours qui s'achèvent, comme pour Joan et Victor, tromperies, au sein du couple formé par Éric et Alice, où se retrouve mêlée la seule célibataire du groupe, Rebecca. La différence se fait grâce à la qualité du développement de la narration qui va multiplier les couches et densifier l'histoire jusqu'à la rendre passionnante.


C'est en cela qu'on ressent le plus la maturité de la plume d'Emmanuel Mouret : à chaque fois que le récit semble avoir livré tous ses secrets, les personnages se retrouvent confrontés à un nouveau choix, un nouvel embranchement, et les directions prisent développent elles même de nouvelles possibilités. La richesse de Trois amies est comprise dans ce constat simple : il n'y a rien d'évident dans une relation amoureuse, et aucune recette ne va venir simplifier cet état de fait. Alice, jouée par l'excellente Camille Cottin, en est la parfaite illustration. À partir de sa propre histoire elle confie à son amie Joan ce qu'elle croit être un secret du bonheur dans son couple. Une heure et demie plus tard dans le film, leurs chemins et leurs vécus se retrouvent inversés, tout comme leurs certitudes sur le sujet de l'amour. Personne n'a ni raison ni tort, les routes se chevauchant au grès des pérégrinations et tourments, qui sont ici nombreux.


deux femmes côte à côte

C'est une caractéristique majeure du cinéma de Mouret, tout est possible et chaque nouvelle scène peut remettre en question la précédente, dans une extrême volatilité des émotions. Mais cela n'a peut être jamais été aussi clair que dans Trois amies : l'amour y est tellement fugace qu'il faut l'embrasser de toutes ses forces s'il se présente, au risque de ne plus le revoir frapper à la porte. Le plus beau symbole de cela est personnifié par Rebecca, interprété par Sara Forestier, sans doute la clef du film à bien des niveaux. Ses expériences, son langage corporelle, tout semblait contrit, empêché et constamment voué à l'échec. Son aboutissement, dans un enthousiasme incroyable et communicatif démontre à quel point tout n'est affaire que de détails et de hasard. Dans le final du film on découvre subitement Rebecca, pourtant bien présente dans de nombreuses scènes, qui semble accoucher d'elle même, dans une version soudain apaisée et heureuse.


Il y a quelque chose d'émouvant à constater le chemin parcouru par Emmanuel Mouret depuis Laissons Lucie faire en 1999, et tout le travail effectué pour réussir à un tel accomplissement dans l'écriture. Loin d'être dans une redite vaine, il parvient dans Trois amies à développer ses thèmes de prédilections en les poussant encore plus loin, dans une orfèvrerie de situations qui confine au génie tellement tout fonctionne à la perfection. Désormais, les personnages amoureux d'Emmanuel Mouret sont délestés des poids qu'ils portaient sur leurs épaules, à l'image de Vincent Macaigne, qui sous une forme spectrale avoue qu'il est enfin heureux, débarrassé de ses angoisses et libre dans l'éternité.

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