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Un mois d'août cinéphile

  • Photo du rédacteur: Florent Boutet
    Florent Boutet
  • 1 sept.
  • 4 min de lecture

Est ce que le cinéma est vivant en août ? Cette question peut paraître étrange et pourtant elle découle d'un constat terrible, le huitième mois de l'année est un mois exsangue en France. Soudain tout s'arrête, dans une sacralisation du congés estival qui ne semble pas souffrir du temps, des modes, et d'une violence toujours plus grande tant dans nos vies occidentales qu'à l'international. Il y a quelques années, le grand Nuri Bilge Ceylan avait vu sa Palme d'or, Winter sleeps, avoir une date de sortie aoutienne, décision de son distributeur Memento, avec l'espoir de déborder sur la rentrée pour accrocher deux types de public enclin à s'intéresser à une œuvre fleuve de plus de trois heures en turc, au cœur de l'Anatolie. Depuis lors, cette ca se Winter Sleep semble avoir été pérennisée, et le début du mois d'août recèle de nombreuses surprises dans les sorties nationales.

Renate Reinsve
Valeur sentimentale (Trier)

On retrouve dans ces premières semaines à la fois des grands succès Cannois de cette année, mais aussi des succès d'estime de 2024, et quelques films oubliés tant leurs sorties se sont faites désirées. Dans la première catégorie, les plus favorisés des sélections cannoises de 2025, le vaisseau amiral est sans doute Valeur sentimentale, nouveau film de Joachim Trier avec Renate Reinsve après Julie, en douze chapitres. Grand prix de la compétition officielle, le film norvégien brille par sa proposition qui fait la part belle à une maison familiale, et ses énergies contraires, entre morts et renoncement, mais aussi résilience et combativité. Si Reinsve y est magnifique, on a également le plaisir de voir se rencontrer Stellan Skarsgaard et Elle Fanning, dans un désir de cinéma fantasmatique.


C'est ensuite la Semaine de la critique qui est mise à l'honneur avec la sortie de Fantôme utile du réalisateur thaïlandais Ratchapoom Boonbunchachok, Sorte d'itération queer s'amusant à faire prendre vie à des objets du quotidiens, aspirateurs ou autres machines, le film déroule ses vignettes où les morts se rebellent contre les diktats du productivisme symbolisée par l'usine d'une famille riche thaïlandaise, dans une poésie qui si elle n'est pas aboutie dans son écriture, réussit à toucher par sa sincérité et ses situations rocambolesques.

Fantôme utile, film thaïlandais
Fantôme utile (Boonbunchachok)

Dans le tour d'horizon cannois c'est enfin la Quinzaine des cinéastes qui avait sélectionné Mirroirs n°3 du grand réalisateur allemand Christian Petzold, plus habitué à la Berlinale qu'à la Croisette. Après avoir noué une relation de travail privilégiée avec Nina Hoss en l'espace de cinq films, c'est désormais Paula Beer qui semble être au centre de ses intentions cinématographiques, après Transit, Ondine, ou encore Le ciel rouge. Cinéaste sous-estimé et placé sous le radar de tout un pan de la cinéphilie internationale, Petzold continue à dérouler son regard qui aime à ausculter l'Allemagne contemporaine, mais aussi le cinéma de genre, que ce soit du côté du polar, du thriller ou du fantastique. Il faut noter la rétrospective qui lui est consacré, en sa présence, à la Cinémathèque française, avec notamment tous ces films télévisés et court-métrages.

Brief history of a family film chinois
Brief history of a family (Lin)

Du côté de Venise et Berlin, ce sont deux très beaux films de leurs sélections parallèles qui arrivent enfin dans les salles françaises, avec en premier lieu A feu doux de Sarah Friedland, meilleur premier film lors de la Mostra 2024. Cette merveille de sensibilité révèle une actrice de 80 ans, Kathleen Chalfant, dans un récit bouleversant sur une femme atteinte par la maladie d'Alzheimer. Du côté de la Berlinale, on retrouve un film chinois très apprécié, prix du public en février 2024 dans la très relevée sélection Panorama, Brief history of a family de Jianjie Lin. Autour du dépassement de la politique de l'enfant unique de Deng Xiaping, achevée en 2015, le réalisateur délivre un récit intense et haletant qui interroge au rapport à la transmission par une génération de parents chinois plus tourné vers l'étranger. Le climat paranoïaque véhiculé par le film, alimenté par une mise en scène très maligne, faisant disparaître un personnage au profit d'un autre, permette à Brief history of a family de briller et de se faire remarquer au milieu de ces nombreuses autres sorties estivales ?


Le mois d'août est enfin traditionnellement le moment privilégiée des « reprises », ces ressorties de grands films plus diffusés depuis des années, et bien souvent invisibles en dehors des cinémathèques et autres ciné-clubs. Deux monuments du cinéma contemporain voient une nouvelle fenêtre de découverte possible en salles la même semaine, le 6 août dernier. Yi Yi (2000) d'Edward Yang fait un retour remarqué en même temps que Chroniques des années de braises de Mohammed Lakhdar-Hamida (1975), Palme d'or en 1975. Si le premier garde une grande notoriété et demeure très connus des cinéphiles, le second était devenu un de ces grands absents, ce malgré son statut de premier film africain et magrébin primé à Cannes. Rarement un film a aussi bien raconté la colonisation et le besoin d'émancipation de tout un peuple, dans une beauté picturale saisissante. Le réalisateur y joue un rôle surprenant, sorte de monsieur Loyal guidant le spectateur à travers des événements qu'il croit connaître mais (re) découvre dans une sidération assez exceptionnelle.

Chroniques des années de braises
Chroniques des années de braises (Lakhdar-Hamida)

Ce récit algérien, sans aucune concession et d'une violence inouïe, éclipse à bien des titres toutes les autres sorties de cet été, soulignant comme une brûlure l'extrême nécessité de continuer à montrer de tels œuvres, politiques et d'une grande âpreté, dans un moment de notre histoire où l'émancipation des peuples, et le réveil du totalitarisme est plus que jamais d'actualité.

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