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Romería, de Carla Simón

  • Photo du rédacteur: Florent Boutet
    Florent Boutet
  • 13 juin
  • 3 min de lecture
deux jeunes gens au bord de la mer

Depuis 2017 et Été 93, la réalisatrice catalane Carla Simón n'a de cesse que de se raconter par le biais de la fiction. Deux facettes de l'enfance se sont ainsi succédé, avec Nos Soleils pour prolonger son geste initial, avec comme sujet cette autre partie de la famille, agricultrice, qui voit son activité péricliter sous les coups d'une économie libérale toujours plus féroce. C'est en cela que les propositions de cinéma de l'autrice sont passionnantes : si elles plongent dans son intimité, elles parlent également de l'Espagne, dans toutes ses aspérités, et bien souvent sous des angles moins reluisants qu'il n'y paraît. Romería, son troisième film, s'inscrit dans cette démarche, qui si elle n'est pas à proprement politique, creuse une nouvelle fois un sillon engagé.


Les grands absents d’Été 93 et Nos Soleils étaient les parents de la réalisatrice. Décédés très jeunes du SIDA, bien avant que se forment les souvenirs de l'enfance, ils hantent la filmographie de Carla Simón, jusqu'à enfin apparaître dans Romería, incarnés mais toujours sous une forme spectrale. En effet, même si elle affronte ici le sujet, c'est par le regard d'une jeune adolescente de 18 ans, Marina, forcée d'obtenir un papier officiel de l’État civil pour candidater pour une bourse importante pour ses études. Toute la première partie du film voit cette alter ego de la cinéaste visiter ces personnes qu'elle ne connaît pas, oncles, tantes et grand-parents qui lui parle de ses parents.


Chaque nouvel interlocuteur raconte une histoire différente à Marina, dans une fuite de la vérité toujours plus grande, ni les dates ni les lieux ne coïncidant avec les notes du journal intime de la mère de Marina. La fugue estivale devient confuse, presque problématique tant elle convie plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Cette partition très scolaire, tant du point de vue de la mise en scène que de l'écriture, inquiète. Quel chemin la réalisatrice nous fait-elle arpenter dans son histoire si intime ? La solution intervient avec un lâcher prise grisant : c'est quand elle abandonne sa trame narrative très linéaire que le film s'emballe enfin. Romería devient alors un autre film, celui de la manifestation presque onirique d'une décennie, les années 1980 d'une Espagne qui connaît les soubresauts de sa transition démocratique.

une jeune femme regarde l'homme à ses côtés

Ces jeunes gens, qui sont aussi ses parents, sont membres de cette génération de jeunes espagnols qui connaissent un appétit de liberté sans bornes. Le récit de cette femme qui découvre tout à la fois, l'amour, la drogue et le monde est confondant de sincérité et d'émotions. Il n'y a plus à proprement parlé de dialogues dans cette partie du film, une simple voix-off déroule les pensées de cette jeune mère qui raconte son envie de découvrir sa fille, sans fatalisme ni craintes, comme un souffle ténu qui s'échappe pour se laisser entendre. Son amour incandescent, le père de Marina, ne se fait jamais entendre, après tout ce n'est pas son journal. Il est un « feu-follet » qui a trop brûlé et voit déjà la fin de son chemin se présenter.


La mue de Romería, qui opère sous nos yeux, est la grande surprise d'un script qui de prime abord semblait ne pas en contenir. Ce que montre Carla Simón, avec une délicatesse et une élégance rare, c'est une rencontre tardive entre une jeune adulte et ses parents, ces étrangers partis trop tôt, qui symbolisent l'âme tourmentée de leur nation. En une très belle et très touchante trilogie, l'autrice a réussi non seulement à se présenter comme artiste, mais elle a également pu scanner ce moment charnière de l'histoire de l'Espagne, et de la transformation de tout un pays à l'aune de la fin de la dictature. Si ce très beau film n'a pas triomphé au festival de Cannes, où il était présenté en compétition officielle en 2025, il va conquérir bien des cœurs tant le sien est gros et palpitant.

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