La voix de Hind Rajab, de Kaouther Ben Hania
- Florent Boutet
- il y a 2 heures
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Dix ans de cinéma, c'est le temps écoulé qui a permis de faire résonner les sons des films de la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania. En quelques films elle a affirmé une vision, un regard mis en valeur par des propositions de cinémas, si ce n'est abouties, toutes singulières en cela qu'elle définisse un style qui lui est propre. Entre le documentaire et la fiction, l'autrice compose une partition faite de tension, de surprises et d'audace. Si le théâtre de ses films est souvent la Tunisie, Ben Hania, avec La voix de Hind Rajab, explore le drame qui se noue depuis plusieurs années autour de Gaza et de la Palestine. Si la forme est moins expérimentale que pour Les filles d'Olfa (2023), son précédent film, elle s'empare d'une actualité brûlante, avec un dispositif de mise en scène minimaliste. Durant une heure et demi, nous nous trouvons en immersion dans un centre d'appel du Croissant rouge, l'équivalent musulman de la Croix rouge, mobilisé à longueur de journée par des urgences dramatiques.
Le cadre posé, quelques personnages bien écrits et détaillés, ce sont les enregistrements téléphoniques d'un véritable appel à l'aide d'une petite fille de 7 ans qui sont retranscris dans le film. S'il y a une part de jeu et de recréation du réel qui déborde sur de la fiction, les mots sont ceux de ce moment de crise, bousculant fortement le spectateur. C'est le premier aspect le plus évident du film : Kaouther Ben Hania orchestre une reconstitution des derniers instants de Hind Rajab à travers sa voix, un cas concret qu'elle dissèque et présente dans toute sa monstruosité. En cela elle crée un récit d'une tension étouffante, une atmosphère de thriller qui n'a rien à envier aux super productions américaine tant l'immersion et le rythme sont parfaits. Mais cela est peu de choses en regard de la nature profonde de La voix de Hind Rajab, viscéralement politique.
Ce centre d'appel est une enclave palestinienne dans une situation où une armée hostile est décrite dans toute son inhumanité, tissant une toile insensée pour les services de secours du Croissant rouge. Tsahal, l'armée israélienne, n'est jamais montrée, ses faits et gestes sont rapportés par des tiers. C'est par le biais d'un relais international, d'un chemin de communication à plusieurs bandes, qu'on apprend la nature des rapports entretenus entre secours arabes et l'armée de l’État d'Israël. Ce qui est terrifiant dans cette situation est l'absence totale d'empathie pour cette enfant coincée dans une voiture où elle n'est entourée que de morts, les membres de sa famille qui ont succombé aux frappes impitoyables de chars déployés dans le quartier du nord de la ville où se trouvait leur véhicule. Ce sentiment de désespoir qui entoure Hind se retrouve sur tous les visages, de celui qui réceptionne son premier appel, à sa responsable directe, ou toute sa hiérarchie que nous découvrons au fur et à mesure que le temps passe et la mort de Hind apparaît comme inévitable.

Le sujet du film est une bombe émotionnelle, il est en effet impossible de ne pas être touché le destin d'une enfant qui symbolise le génocide en cours dans cette enclave palestinienne. Comme souvent avec les films de Kaouther Ben Hania, cela n'empêche pas de se poser la question de la forme proposée, ici de l'utilisation d'enregistrements aussi terribles et utiliser de façon aussi frontale. Présenté en compétition officielle à la dernière Mostra de Venise, le film a divisé son jury, sans doute à cause de ce militantisme sans appel et cet aspect hybride de la mise en scène, qui par son minimalisme et sa brutalité ont pu déranger une analyse plus « centriste » de la situation.
La voix de Hind Rajab, à l'instar des Filles d'Olfa, mais aussi des autres films de la cinéaste comme le magnifique La belle et la meute (2017), est pourtant un de ces films qui raconte le mieux son époque, dans une représentation qu'on aimerait occulter et ne pas regarder, et pour laquelle, pourtant, il est nécessaire de ne pas détourner le regard. Kaouther Ben Hania montre la part sombre et sanguinaire de la partie du monde à laquelle elle appartient, et ce document est déflagration inoubliable.