Les aigles de la république, de Tarik Saleh
- Florent Boutet
- il y a 4 jours
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Film documentaire, d'animation, en Suède, son pays natal, aux États-Unis ou en Égypte, Tarik Saleh est un artiste aux talents multiples qui a démontré un véritable talent dans la mise en scène de cinéma. Les aigles de la République est sa troisième collaboration avec le grand acteur libanais Fares Fares, à qui il fait jouer le rôle de Georges Fahmy, l'idole cinématographique de toute le peuple égyptien. Si le film commence sur un plateau de studio de cinéma, ce qu'il va dérouler durant plus de deux heures, et bien plus complexe qu'une simple évocation de la starification en Égypte. C'est à tout un régime et tout un système politique que consacre son récit l'auteur de La Conspiration du Caire.
Georges est de tous les plans, il est « pharaon », l'idole de plusieurs générations, et il devient la cible du régime militaire pour incarner le dirigeant égyptien dans un « biopic » à sa gloire. Cette commande est la concrétisation d'une angoisse : la première demi-heure du film présente un durcissement de l'atmosphère en Égypte. La surveillance du peuple se renforce, de même que le contrôle des mœurs, qui pouvait être assez libre jusqu'ici, tout du moins pour la population aisée à laquelle appartient Georges Fahmy. Désormais, les listes noires se remplissent de noms d'acteurs et d'actrices jugés hostiles au régime, et les pratiques jugées contraire aux bonnes mœurs sont dénoncées.
Tarik Saleh construit son récit de façon très classique, comme un étau qui se resserre autour des personnages, avec la présentation des choix du protagoniste qui se rallie aux exigences de la junte militaire, tout en gardant une roublardise qui le pousse à une prise de risques inouïes dans un tel contexte. Pour continuer son style de vie, fait d'excès, de luxe et de la fréquentation de jeunes femmes, Georges accepte la compromission, mais devient une sorte de témoin privilégié de la dégradation du climat avec l'abandon de tout semblant de démocratie. Cet angle est sans doute le plus intéressant dans la proposition de l'auteur, qui met parfaitement en valeur Fares Fares, parfait dans ce rôle de grand hédoniste jouet des puissants.

Il y a parfois quelque chose qui oscille entre le jubilatoire et le terrifiant à voir ce personnage se faire balader d'un général à un ministre, pour des enjeux qu'il ne maîtrise pas. L'intrigue est bien tenue en ce qu'elle fait parfaitement ressentir la fragilité de la situation politique mais aussi de la position sociale de Georges qui pourrait être dénoncé ou emprisonné au moindre faux pas. Son aventure avec la femme d'un ministre très haut placé apparaît dès lors comme une bravade futile pour se réapproprier le cours de sa vie de la part d'un homme dépassé par les événements.
La conclusion du film, sous la forme d'une grande scène d'action totalement impromptue, vient briser le récit. Les balles volent, le jeu de dominos entre les différents personnages continuent, sous le regard d'un Georges toujours plus perdu. Si l'immersion dans la montée d'un système totalitaire était intéressante et plutôt bien amenée, on finit Les aigles de la république lassé et éreinté par trop de rebondissements et un sentiment de rupture narrative pour cette fin assez grandiloquente. Il demeure une superbe performance d'acteur pour Fares Fares qui renouvelle de film en film cette merveilleuse impression et cette aura fascinante qui est la marque des très grands artistes.