Lovers Rock, de Steve McQueen
- Florent Boutet
- 15 mars
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 mars

Londres dans les années 1980, Martha et Patty sont deux amies inséparables qui partent ensemble pour vivre une nuit sous le signe de la danse, des rencontres amoureuses, mais également de la violence tapie sous les notes de musique.
Au sein de la salve de films regroupés sous l'appellation de Small Axe, Steve McQueen nous assène son Lovers rock. Celui-ci est aussi bref et nerveux que The Mangrove pouvait prendre son temps et developper son propos dans des échanges feutrés d'une cour de justice, qui n'en restait pas moins implacable et belliqueuse. On retrouve moins de personnages également dans Lovers rock, tant le propos est véhiculé par deux jeunes femmes, et principalement par Martha, partie pour vivre une des plus belle et intéressante nuit de sa vie. Le premier aspect du film est donc bien la présentation de deux amies, de leurs préparatifs vestimentaires, jusqu'à l'arrivée au lieu de la soirée, en passant par le chemin qui les y amène. On pense beaucoup à Abdel Kéchiche pendant tout le film, dans cette façon qu'à McQueen de très simplement ramasser son récit sur quelques heures et d'y capter l'énergie qui réside dans ces moment si particulier qui fonde la fête et le plaisir qu'on y prend.
On retrouve cette électricité dans chaque plan qui constitue le cœur du récit, cette maison qui les abrite tous, avec sa piste de danse où les corps s'entrechoquent sous le rythme d'un son incroyable. Les morceaux diffusés sont un enchantement, il est très difficile une fois le film fini de les dissocier des images. On est confronté sans aucun doute à l'une des plus belles partition musicale assemblée pour un film entendue (et vue) depuis longtemps. La musique fait corps avec les individus, et raconte beaucoup sur qui ils sont.
Tout d'abord des enfants d'immigrants, regroupés en communauté pour profiter de leur jeunesse autour d'une culture commune. Ce deuxième aspect devient de plus en plus important. En une scène, où Patty tente de partir retrouver son amie qui a quitté la fête se sentant abandonnée, on se rend compte que la maison est une bulle à l'écart du reste de la ville. On se rend alors mieux compte du huis-clos qui opère depuis plusieurs minutes, pour mieux se protéger d'un extérieur agressif et intrusif représenté par ces hommes blancs près à tout dès qu'il voit Patty approcher.

Ce moment rappelle que si on est dans une soirée de fête, la violence demeure en filigrane à chaque instant. Tout d'abord par cet extérieur représenté par un groupe d'hommes blancs, mais aussi à l'intérieur. Les rapports entre hommes et femmes sont infestés de cette toxicité qui semble devoir exploser d'une seconde à l'autre, que ce soit au son de la musique, à cause de l'alcool, ou dans le jardin propice à disparaître du regard du reste des convives comme on peut le voir dans une scène qui suit. Patty combine tous ces aspects : c'est une femme forte, elle dirige sa vie, jusque dans ses vêtements qu'elle a confectionné elle-même. Si elle se laisse séduire, c'est elle qui décide jusqu'à quel point, quitte à s'extirper de l'emprise du jeune homme qui la convoite pour venir au secours d'une femme agressée. C'est par son entremise qu'on fait la bascule entre les différents éléments qui composent la nuit, qui ne peut être lue d'un seul bloc et sans nuances.
C'est en effet un ensemble très nuancé, fait d'énergies contraires et multiples, mais qui atteignent leur point culminant dans un abandon sublime jaillissant par le biais de notes de musique sublimes et vivifiantes qui prennent par surprise. L'émotion est surprenante car elle prend totalement le contrôle au sein d'une histoire qui pourtant aime à jouer sur les contradictions. On finit par tout oublier et se laisser guider comme les protagonistes, laissant de coté le fâcheux pour mieux se réjouir du partage qui opère l'espace d'un fugace mais très intense moment de musique. C'est une œuvre radicale dans son approche stylistique, mais terriblement efficace et virtuose que mène Steve McQueen, un coup de maître qui place encore plus haut s'il le fallait ce nouveau projet enthousiasmant et magnifiquement dirigé.