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Entretien avec C.B. Yi (2022)

  • Photo du rédacteur: Florent Boutet
    Florent Boutet
  • 31 mars
  • 7 min de lecture

Entretien réalisé à Paris en janvier 2022, pour la sortie de Moneyboys, premier film du réalisateur sino-autrichien, présenté en sélection officielle à Cannes à Un certain Regard.


deux hommes dansant dans un night club

Le film est très cosmopolite, vous êtes chinois mais vous vivez en Autriche depuis de nombreuses années, le directeur de la photographie est français, le monteur est autrichien, la musique est assurée par un franco-coréen et c'est une co-production entre Taïwan et l'Autriche. Est-ce que cette multitude d'identités est quelque chose qui vous ressemble ?


CB Yi : Je suis en effet né en Chine, mais au début de mon adolescence je suis allé en Europe, en Autriche. C'est pour cela que, quoi qu'il en soit, je suis un mélange de ces deux cultures. On peut presque dire que je suis une fusion des deux. Je connais très bien la Chine y aillant vécu jusqu'à mes 13 ans, mais d'un autre coté la majeure partie de ma vie s'est passée à Vienne, et j'ai beaucoup des deux cultures en moi. C'est pourquoi je suis habitué à travailler avec différentes personnes venant de différents horizons.


Par exemple, lors du tournage, ce qu'il s'est passé c'est qu'on a parlé de ce que l'on voulait faire avec les acteurs en mandarin, avec Jean-Louis Vialat mon chef opérateur on parlait en anglais. Avec mon assistant Hanus Polak, qui est aussi l'assistant de Michael Haneke, on parlait en allemand. C'est à dire qu'au final je parlais en trois langues différentes sur le plateau . On doit également ajouter les dialectes taïwanais à cette liste. En effet, je viens d'une île chinoise où la langue est très proche du taïwanais.


Du coup pour moi c'est presque normal de parler dans différentes langues et de communiquer dans celles-ci. Je pense que cela se voit aussi dans mon film parce qu'il y a différentes influences, que ce soit asiatique (des cinéastes comme Ozu ou Hou Hsiao Hsien), mais aussi des gens comme Haneke et Ulrich Seidl que j'aime beaucoup. Ce mélange là me correspond assez bien je pense. Cette fusion et ce mélange, comme une cuisine cinématographique, est à la fois mon présent et mon futur.


Le sujet est à la fois très fort et très dense, avec dans la première partie du film des séquences assez violentes. Vous aviez déclaré que le sujet du film n'était pas propre à la société chinoise. Mais pourtant ne peut on pas affirmer qu'un des principal intérêt du film est de montrer cette jeunesse là en particulier ?


Évidemment, en premier lieu c'est une histoire universelle, sur la question de l'acceptation de soi, sur le fait d'arriver à s'aimer soi-même. Dans Moneyboys, je voulais faire un film dans lequel mon subconscient est présent. Je suis quand même né en Chine, et c'est pourquoi j'ai le sentiment de bien connaître les gens là-bas et rentrer précisément dans leurs façons d'être.


Fei est un jeune homme qui vient d'un village et par son intermédiaire on est obligé de montrer les influences chinoises, et c'est à partir de là que démarre le film. Dans mes recherches j'ai voulu mieux connaître la Chine. Comme observateur, de l'extérieur, on peut mieux voir les détails, car je ne suis pas trop proche de la situation. Cette distance m'a permis de regarder cela plus objectivement et de mieux voir. Lorsque nous sommes trop proches l'un de l'autre je ne vois qu'une partie de vous et pas le corps entier ni votre langage corporel. Cela explique la distance que j'essaye d'établir dans le film.


deux hommes au bord de la mer

La mise en scène est très dynamique dans le film. Vous avez beaucoup eu recours au plan-séquence notamment, pourquoi ce choix particulier pour raconter votre histoire ?


Je crois que le cinéma est là pour créer des atmosphères afin que le spectateur puisse entrer dans les sentiments des personnages, afin qu'il soit attentif. Grâce au plan-séquence on peut arriver à une plus grande communication entre le spectateur et le protagoniste. Quand on a une discussion, l'intimité entre deux personnes consiste à se regarder dans les yeux et pas tout le temps aller de gauche à droite et être attiré par diverses choses.


Je crois que c'est ce qu'il se passe quand on fait un montage rapide, avec des plans en champ contre-champ, on détruit cette intimité dont je parle. Je voudrais qu'on puisse entrer à l'intérieur du spectateur. Je suis très bien conscient qu'aujourd'hui on n'a plus le temps ni la capacité d'attention nécessaire pour supporter ces longs plan-séquences, mais selon moi il faudrait y revenir afin d'établir cette connexion entre le public et les personnages.


Je crois qu'il faut accompagner le spectateur comme un ami. Par exemple, toutes les fatalités et les joies de Fei, il faut qu'on puisse les vivre avec lui, au plus près. Je ne veux pas que tout cela soit détruit par un montage rapide. La caméra doit être un peu comme un policier qui le poursuit et le ne lâche pas des yeux. Je pense que c'est un concept formel important, afin de pouvoir vivre les émotions de Fei avec lui.


Je veux ajouter une chose à propos de la violence que vous mentionnez dans certaines scènes. Toutes les scènes où apparaît Fei sont en réalité objective. Dans toutes celles où il n'est pas présent, où on retrouve Xiaolai par exemple, qui va le venger de frère Bao, c'est l'imagination de Fei qu'on voit à l'écran. C'est pour cela que ces scènes ne sont pas réalisées en plan-séquence. Cela donne une réalisation plus brutale, le style est différent pour retranscrire la violence dont vous parlez.


deux hommes à moto souriant

Dans la deuxième partie du film on est plus dans la perspective du point de vue de Fei, qui n'est plus enfermé par le cadrage de la société. À ce moment là il est plus libre, il a trouvé sa libération. Toutes les situations d'enfermement pour lui sont retranscrites par le cadrage. Par exemple, après son passage dans sa famille, quand tous sont au courant de ses activités de moneyboy, il y a cette scène où sa sœur lui dit d'être heureux et de vivre pour lui-même. Libéré, dans le bus, on peut voir la scène par son point de vue, on voit la route qui se meut avec toutes ses circonvolutions.


Il y a une deuxième séquence où l'on voit le point de vue de Fei, une sorte de deuxième libération, quand il voit la danseuse, qui bouge pour épouser le rythme, se déplaçant d'une certaine façon comme l'eau qui coule. Cela montre à quel point la vie n'est pas droite, mais se déplace dans des perspectives contrariées.


Le film commence sur un motif aquatique, le village est entouré d'eau, et au début de la seconde partie l'eau est également très présente. Fei semble en permanence cerné par cet élément. Qu'avez vous voulu dire par ce motif si particulier ?


Dans un film, quand on parle d'une histoire universelle, qui parle d'humanité mais aussi d'amour, la nature est forcément au centre de tout. Pourquoi l'eau est-elle ussi présente ? C'est pour plusieurs raisons. Dans le Yi Qing, le livre des transformations, l'eau est décrite comme douce mais aussi comme dure, qui peut trancher mais aussi percer. Comme la nature est toujours avec nous, visuellement, du point de vue cinématographique on peut l'utiliser par le biais des fleuves ou de la pluie. Dans le cinéma elle appartient à tout ce que l'on peut montrer dans une scène, on s'en sert comme d'un élément qui aide à amener des émotions, et être proche de nous, des héros et de leur histoire.


Dès le début on voit que beaucoup de choses dans le film sont liées à la nature, on a ces passages avec l'eau et effectivement cela permet de voir toute la nostalgie de Fei qui est tourné vers l'arrière. On voit que soudain son regard se porte derrière lui, comme s'il faisait une sorte d'adieu à la nature, et par ce biais à son enfance, à sa mère et à l'innocence. Il passe la porte, et c'est à ce moment qu'il devient vraiment un moneyboy.


La deuxième partie commence également avec de l'eau, mais il faut se rappeler que précédemment il se cachait de sa famille, pour qu'elle ignore ce qu'il faisait pour gagner de l'argent. Quand la vérité éclate, on a cette scène dans le night club, un endroit où l'eau est absente, sa mère est morte, la nature n'est plus là. La présence et l'absence de la nature sont des éléments fondamentaux dans le film. J'ai filmé des plans où on arrive dans la grande ville et où on voit ces paysages industriels, aussi pour rappeler que la nature est toujours en péril.


L'élément naturel ajoute une dimension supplémentaire au film, en plus de sa dimension réaliste et des éléments poétiques déjà présents. La vie change, la vie se meut, mais elle peut aussi être belle à coté de la dure réalité que le héros vit.


deux hommes dans un tunnel

Kai Ko, l'acteur qui joue Fei, est vraiment incroyable, c'est un des visages les plus marquants vu au cinéma ces dernières années, une vraie révélation. Aviez-vous écrit le personnage en pensant à lui, où s'est il imposé par la suite lors de castings ?


En premier lieu, au moment de l'écriture du scénario, non. Mais au moment des castings j'ai passé deux ans en Chine pour trouver quelqu'un pour le rôle, et il s'est peu à peu imposé dans mon esprit. J'avais vraiment envie de travailler avec lui. Pour les producteurs c'était impossible. Ils pensaient que son statut de superstar en Chine le rendait inaccessible pour nous. Trois mois avant le début du tournage nous n'avions trouvé aucun acteur qui correspondait au personnage comme je l'imaginais. J'ai donc convaincu les producteurs de me laisser au moins essayer de le rencontrer pour lui proposer le film. Je leur ai dit que j'allais le convaincre de faire le film. Il a dit oui, et il est vraiment quelqu'un d'extrêmement talentueux.


Nous avons beaucoup parlé du film ensemble, de son personnage, mais aussi de sa vie. Je me suis rendu compte après un temps qu'il en savait plus long sur Fei que moi. Ce fut comme une initiation en quelque sorte, tout ce qu'il faisait avec Fei était la bonne chose à faire. Il était tout le temps juste tout de suite. Je ne pouvais rien critiquer.


Pendant le tournage, parfois les scènes étaient très longues, lui était juste dès la première prise, c'était à chaque fois parfait. Mais nous avions parfois besoin de refaire des prises pour les autres acteurs, et il était très humble et réservé, proposant de faire mieux aussi en ce qui le concernait. Il est assez timide et ne le reconnaît pas, mais il a beaucoup travaillé et apporté au film. C'est quelqu'un qui sait exactement ce qu'il veut, dans son jeu, dans sa façon d'être Fei face à la caméra.

J'aimerais qu'il puisse enfin gagner un prix pour son travail, beaucoup de critiques et professionnels pensent qu'il est fantastique donc je pense que ce serait très mérité pour lui d'avoir de la reconnaissance.

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