Radio Prague, de Jirí Mádl
- Florent Boutet
- 19 mars
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 mars

Le printemps de l’année 1968 est une séquence qu’on associe volontiers à des remous politiques révolutionnaires d’une période politique particulièrement féconde. Si la France se soulève, tant dans les usines que dans les universités, plus rude est la lutte qui s’engagea en Tchécoslovaquie, cette république devenue socialiste au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Unies de façon artificielle par la figure tutélaire de l’Union soviétique, ces deux nations ont vu se succéder les régimes autocratiques, que ce soit l’empire Austro-Hongrois, l’Allemagne nazie, ou enfin l’URSS de Leonid Brejnev. Radio Prague, les ondes de la révolte, est le troisième long- métrage en cinq ans de l’acteur Jirí Mádl, concentré sur cette année 1968 et son climat révolutionnaire. Si le sujet est fort et passionnant, la structure du film amène quelques réflexions et quelques réserves.
Tomas, le personnage qui introduit l’histoire, et sert de guide au spectateur, égrène les mois de cette année, entre résignation et courage, avec l’intérêt de son jeune frère comme moteur. Ce choix de suivre le cours du temps de manière très linéaire donne une patine très classique à Radio Prague. Le style de mise en scène ne brille pas par son originalité, avec le sentiment que la gravité du sujet constitue l’instrument majeur de tout le projet, qui fait ainsi l’économie d’une prise de risque en termes formels. Il y a ensuite un écueil propre à ce type de fiction historique : la multitude de personnages, de noms qu’on assène à la volée sans s’appesantir, et qui peuvent désarçonner, créant un flou qui empêche de créer un lien. Il y a enfin une succession de menaces de la police secrète, sans que jamais véritablement on ne puisse mesurer la gravité des conséquences.
Un journaliste est emprisonné, il réapparait subitement sans qu’on en sache plus sur ce qu’il a vécu ou sur sa libération, un autre est suivi mais pas arrêté, tout semble glisser sur ce groupe de personnes, même leur chef qui, très malade, passe au second plan sans qu’on s’y attarde. Dans ces conditions il est très compliqué de mesurer l’ampleur des bouleversements politiques du pays, très peu d’affect se nouant avec le spectateur, les informations se succédant à grande vitesse dans une répétition qui peut même être lassante tant les mêmes plans, notamment chez le directeur de la communication tchécoslovaque, sont identiques et répétés.
Ces réserves étant énoncées, il faut reconnaître à Radio Prague une certaine ingéniosité, notamment dans ce qu’il montre du pouvoir de ce média pour représenter une forme de résistance et de témoignage face à l’oppresseur. Tomas est un technicien, pas un journaliste, et c’est pourtant lui qui donne la possibilité à ses collaborateurs de rester à l’antenne au moment « où s’écrit l’histoire », comme un phare au milieu de la nuit qui s’installe peu à peu avec l’arrivée des chars du Pacte de Varsovie. Cette irruption venue de l’étranger, ce pouvoir extérieur qui aliène toute une population, est parfaitement mise en parallèle avec la couardise des hommes politiques tchécoslovaques, plus intéressé par le fait d’avoir un coup d’avance dans leurs objectifs de survie, que par la liberté d’expression qui manque cruellement dans leur pays.

Jirí Mádl est un acteur connu en Tchéquie, primé notamment au festival de Karlovy-Vary pour son rôle dans Deti Noci (2008), et cela se ressent dans sa façon de filmer et de diriger tout son casting. Cette vaste troupe vit et bouillonne sous nos yeux, dans une agitation de rédaction qui retranscrit bien la période que traversent tous les protagonistes et la foule qui se masse, notamment, dans les rues de Prague. Il y a enfin, une très intéressante analyse sur la fabrication de la vérité par un pouvoir totalitaire, attestant que bien avant internet et les réseaux sociaux, un État autocratique usait, déjà, de procédés fallacieux pour contrôler l’opinion et modeler les esprits dans l’acceptation de mesures arbitraires et discriminatoires.
Radio Prague est en cela un film ambigu, qui oscille entre forces et fragilités, mais qui ne manque pas de panache pour dépeindre les instruments de luttes face au fascisme le plus rance, celui qui veut imposer son joug par les chars et la violence. Ce message a d’autant plus d’écho mis en perspective de la volonté russe de renouveler un impérialisme qu’on croyait éteint, usant des mêmes éléments de langage et de la même soif de contrôle.