La Convocation, d'Halfdan Ullmann Tøndel
- Florent Boutet
- 12 mars
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 mars

Co-production suédoise (Prolaps), hollandaise (Keplerfilm) et allemande (One Two Films), La convocation est surtout l’œuvre d’un jeune auteur de 33 ans, Halfdan Ullmann Tøndel. Si l’on cite son hérédité, petit-fils d’Ingmar Bergman et de Liv Ullmann, il est préférable tout de suite de parler du film, tant d’un point de vue formel que de part son sujet, une agression sexuelle entre jeunes garçons de 6 ans.
Les quarante premières minutes du film font l’effet d’un sprint, menées à une vitesse et avec une force époustouflante. Le cinéaste introduit ses personnages sur une rythmique presque martiale, jouant à la fois de l’image mais aussi du son, pour créer une atmosphère pesante et anxiogène. A chaque nouvelle introduction de personnage, c’est un climat de peur qui s’installe, palpable sur les visages jusqu’à son arrivée dans le plan, réhaussé par une musique vrombissante.
C’est tout d’abord Elisabeth, jouée par Renate Reinsve (Julie en Cinq Chapitres), qui brise le status-quo de ce corps professoral qui se rassure comme il peut vis-à-vis de la confrontation promise. Manteau rouge flamboyant, talons qui claquent sur le sol, longiligne apparition, elle tranche avec l’institutrice qui la reçoit aussi mal à l’aise que possible, se voulant rassurante pour ne pas se faire dévorer par cette apparition aux allures presque démoniaque. A l’arrivée des parents du deuxième petit garçon, le même effet est repris, figurant une entrée de deux combattants avant un match de boxe, avec une volonté de marquer les esprits avant le début des débats.
Toute l’âme du film est incluse dans cette longue introduction, relayant autant le trouble des personnages que celui que provoque Elisabeth, vue d’emblée comme la prolongation de son enfant, ingérable et dangereuse. La grande qualité de cette construction narrative est qu’il induit en erreur le spectateur : en nous forçant à regarder presque exclusivement Elisabeth, et en la jugeant dès les premiers instants, l’auteur nous fait oublier toute autre possilbilité, comme si la culpabilité d’Armand, qui donne son nom au film dans sa version originale, ne souffrait d’aucune contestation. Pourtant, Halfdan Ullmann Tøndel réussit à complexifier son intrigue, et à retourner la table dans son dernier tiers.

La convocation est affaire de scènes longues et signifiantes, c’est ainsi qu’un moment de discussion entre des époux, les parents de Jon, bouleverse nos croyances en les personnages, dans un jeu de lumières et de couleurs tout simplement prodigieux. Si Bergman avait intitulé un de ses plus beaux films, Le visage, Ullmann Tøndel révèle en quelques gros plans la véritable nature des protagonistes, entre rires et larmes, simulacres et danses macabres, exécutées avec un agent d’entretien, balais en main, qui se mue en un compagnon de jeu insolite.
Ce final devient un crépuscule aux couleurs de tonalité rougeâtres, reflétant tant la couleur des cheveux d’Elisabeth, tour à tour succube puis victime, que le sang qui s’écoule inopinément du nez d’une des enseignantes, symbole de l’impuissance de l’école. L’apaisement final, comme un pied de nez aux vérités qu’on prenait pour acquises, vient désamorcer l’emballement effréné d’une histoire qui n’avait jusqu’ici jamais relâché son étreinte sur le spectateur.
Premier film virtuose, La convocation est reparti du dernier festival de Cannes, où il concourrait dans la compétition Un certain regard, avec la Caméra d’or, pris remis au meilleur premier film, toutes sélections confondues. C’est en effet la promesse d’un grand talent, celui d’un auteur déjà affirmé dans son geste de cinéaste, aux ambitions formelles affichées et très convaincantes.