top of page

L'Agent secret, de Kleber Mendonça Filho

  • Photo du rédacteur: Florent Boutet
    Florent Boutet
  • 11 juin
  • 3 min de lecture
Wagner Moura dans une cabine téléphonique publique

Six ans après la demi-déception que fut Bacurau (2019), Kleber Mendonça Filho confirme tout le talent démontré avec ses deux premiers long-métrages, Le bruit de Recife (2012) et Aquarius (2016). L'Agent secret a cela en commun avec ce dernier film cité, qu'il est un grand film politique qui parle magnifiquement bien du Brésil et de son histoire récente. C'est avec des choix de mise en scène audacieux et un casting parfait qu'il réussit de nouveau à enthousiasmer et à revitaliser son cinéma.


C'est donc tout d'abord par la mise en scène, et aussi par le biais d'une écriture maligne et de qualité, que l'auteur lance son film sur des rails impressionnants. Le récit oscille en permanence entre un présent de narration, une jeune femme fait une enquête sur des écoutes réalisées pendant les années 1970 sur Marcelo, universitaire en fuite qui arrive dans la ville de Recife, berceau de tous les films de KMF. C'est par la découverte de ces bandes, écoutés avec un lecteur de K7 typique de cette époque, qu'on découvre le personnage, dans toute sa complexité. Ces petits sauts temporels, ponctués de découvertes, contextualisant pas à pas l'histoire et lui donnant de la « chair », apportent beaucoup de profondeur et de richesse au film.

Wagner Moura en extérieur

C'est tout un contexte politique qui naît grâce à ce dispositif malin, ponctué par de subtils retours au présent qui permet de ne pas s'enliser dans une trame trop linéaire. Le génie du réalisateur brésilien et de jouer de ces pauses pour engager de nouvelles pistes narratives, et se permettre de conclure l'histoire de Marcelo au milieu d'une phrase, laissant une large place à l'interprétation du spectateur. Le drame est planté, les détails ont été évoqués, il ne nous reste plus qu'à relier les points et à dessiner seuls une conclusion évidente. La projection opérée dans la dernière demi-heure n'en est que plus satisfaisante, car elle permet de ramifier cette décennie de dictature militaire douloureuse, avec le présent non moins troublé qui voit ressurgir le spectre du totalitarisme au Brésil.


Au delà de cet angle passionnant, on retrouve une dimension liée à l'intime magnifiquement développée avec l'histoire contrariée d'une famille, qui vole en éclat, les conséquences résonnant toujours à un demi-siècle de distance. Wagner Moura est cet acteur charismatique qui hante la plan, jusque dans son absence qui meurtrit ce fils qu'il a peu connu et qui souffre rien qu'à l'évocation de son nom. Leur famille n'est jamais montrée unie, elle se caractérise dans l'absence, celle de la mère, décédée trop tôt, puis celle du père, en fuite, poursuivi par des tueurs. Moura canalise dans son jeu tout ce poids, cette culpabilité et cette urgence qu'on décèle dès les premières scènes qui le voit arriver à Recife dans la clandestinité.

un groupe de personne en intérieur autour d'une table basse

Les derniers instants du film sont dévoués à ce triste constat d'une génération perdue, dévorée par la bête infâme du totalitarisme qui ne cesse de renaître. Mendonça Filho ne cesse de tourner autour de ce motif, notamment dans une scène magistrale qui révèle la monstruosité du discours raciste, misogyne et « classiste » incarné ici par cet industriel et son fils venus démolir le département universitaire de Marcelo. C'est un moyen parfait pour souligner le pont naturel existant entre le capitalisme et le fascisme, frères de circonstances qui s’accommodent très bien l'un avec l'autre, alliés de circonstances qui regardent dans la même direction, au grand dam des populations prises au pièges de ces intérêts convergents.


Tous ces éléments et cette ambition dans la forme permettent à L'agent secret d'atteindre une grâce et une force de toute beauté, nouveau jalon de la filmographie d'un auteur majeur du cinéma contemporain qui retrouve les sommets déjà aperçus avec Aquarius, avec cette même force politique, servie par des idées de mise en scène virtuoses nourries par un multitudes de surprises visuelles et sonores.

bottom of page