Histoire de Judas, de Rabah Ameur-Zaïmeche
- Florent Boutet
- 14 avr.
- 3 min de lecture

Des bruits de pas sur un sentier caillouteux, des grillons et criquets chantant à tue-tête leur récital méditerranéen. Bien avant qu’intervienne l’image, et que n’apparaisse la silhouette d’un homme au beau milieu d’un paysage semi-aride, c’est par le son que Rabah Ameur-Zaïmeche nous présente son cinquième film, Histoire de Judas. Bien loin d’être anodin, ce détail inaugural traverse tout le film, soulignant le travail considérable fait sur ce secteur technique si important qu’est le son.
Quatre ans après son sublime Les Chants de Mandrin, le réalisateur français revient avec un nouveau portrait d’une figure historique forte et controversée. Si Mandrin et Judas ne paraissent au premier abord des personnages d’une proximité évidente, ils se rapprochent par le regard très particulier d’Ameur-Zaïmeche, qui en a une interprétation toute personnelle. En effet, pour lui ce sont deux grands exemples d’hommes rebelles, de convictions profondes, qu’il affronte avec une épure qui tranche énormément avec l’image classique qu’on y attache en règle générale. Ainsi son Judas n’est pas un traître, mais un disciple fidèle à la parole de son maître. Avoir choisi Judas comme personnage principal du film est en ce sens significatif de la démarche de l’auteur : il le décrit sous un jour nouveau, et en fait le grand absent des derniers moments du Christ, qui l’avait envoyé remplir une mission loin de lui.
Autre geste fort, la volonté de filmer cette histoire sous l’angle de l’intime. On ne retrouve pas ici de scène de foule, la Passion, la crucifixion publique, tout ceci est éludé par le récit d’Histoire de Judas. Ameur-Zaïmeche transmet à son film ce qui a fait ses forces par le passé : l’aspect « troupier » de ses tournages. Les scènes de groupes rassemblant les apôtres sont dès lors des scènes de famille, ceci d’autant plus que la plupart des acteurs présent à l’écran sont des cousins du réalisateur. De plus, il faut noter qu’un grand nombre des techniciens cumulent les fonctions, ils sont tour à tour acteur, mais aussi assistant monteur (Marie Loustalot en Bethsabée), premier assistant (Nabil Djedaoui qui joue un très convaincant Jésus) ou stagiaire à la production (Eliott Khayat en jeune scribe). Ameur-Zaïmeche en est le meilleur exemple, jouant le rôle principal de Judas, mais aussi réalise, produit et écrit le film.

Cette économie de moyens, qui est avant tout pragmatique, et qui rappelle les tournages de Rohmer, crée une impression d’effervescence qui traverse tout le film. Ceci contraste avec le calme qui imprègne chaque scène, avec seulement la scène des marchands du Temple, et leur destruction, venant trancher avec cette harmonie, consacrant Judas comme le bras armé de la parole du Christ.
Si le son est premier ici, symbolisé par la voix si particulière de Rabah Ameur-Zaïmeche, un grand soin est donné à l’image grâce à la très belle photographie d’Irina Lubtchansky, qui effectue ici sa troisième collaboration avec le réalisateur du Dernier Maquis. Les paysages choisis pour représenter la Judée antique sont somptueux, pour lesquels l’équipe s’est adaptée au grès du tournage, qui s’est déroulé dans l’Est de l’Algérie, dans la région de Biskra. Il n’est pas question ici de recréer Jérusalem, mais bien de faire avec les éléments à disposition, outils au service de cette histoire très personnelle.
La mise en scène souligne le côté héroïque de Judas. De nombreuses contre-plongées soulignent sa stature et son abnégation, émissaire dévoué à la cause de son messie. Judas est encore réhabilité par le lien qu’il effectue entre Jésus et les hommes de la région, compagnon d’armes et bientôt fidèles. C’est par lui que se diffuse le lien de confiance entre chacun, ce qui est cohérent avec l’étymologie du nom de Judas, signifiant « je suis l’autre ».
Histoire de Judas est un film doux et généreux à la fois, consacrant une fois de plus Rabah Ameur-Zaïmeche comme un grand cinéaste de l’intime. Il est aussi un acteur fiévreux et captivant, au magnétisme incroyable, talent rare dans le paysage cinématographique français. Ce très bel exemple de projet personnel et engagé est une pierre supplémentaire d’une œuvre passionnante et enthousiasmante, qui mérite un écho plus large qu’il n’a pu l’avoir à ce jour.